Jamel Debbouze : « Les intermittents et les immigrés ont exactement le même problème »
Par F. le 15 juin 2014, 10 h - Politique - Lien permanent
Dans un entretien au Monde, à l’occasion du Marrakech du rire, Jamel dit des choses justes et fortes à propos du FN. Le Monde ayant placé cet entretien en zone abonnés, en voici un large extrait.
Quel regard portez-vous sur le mouvement des intermittents du spectacle ?
J’ai été intermittent à mes débuts. Il faut se battre corps et âme pour que ce statut ne disparaisse jamais, mais annuler les spectacles c’est mortifère. Il faut juste se rappeler une chose : sans la culture, on est mort, sans le spectacle, on est foutu.
J’ai le sentiment que le gouvernement a les outils pour remédier à ce conflit mais je suis surpris de voir que ce sont toujours les mêmes sujets qui reviennent depuis tant d’années. Je réponds aux mêmes questions qu’il y a dix ans. Les intermittents et les immigrés ont exactement le même problème.
C’est-à-dire ?
Mes parents sont arrivés en France il y a trente ans. Il y a quelques semaines, le Front national a fait un score de fou aux européennes et mon père pleurait. Que voulez-vous que je vous dise... Il y a des choses que l’on ne règle pas et qui sont une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, une épée qui est là depuis trop longtemps.
De voir ces énarques et ces gens érudits, qui ont les outils intellectuels et financiers à leur disposition, ne pas pouvoir régler les problèmes, je trouve cela incroyable. J’ai le sentiment que la politique ne fait pas suffisamment bien son travail, même s’il faut absolument croire en la politique.
Vous qui avez milité pour inciter les jeunes à aller voter, quel sentiment avez-vous face au taux d’abstention record en banlieue et à la progression du Front national ?
Cela me désole. Mais la politique n’arrive pas jusqu’aux banlieues. Les gens en ZEP, en ZUP, en zone franche ne sont pas concernés par la politique, ils ne sont même pas concernés par la crise parce qu’ils ont toujours vécu dans la crise ; ce sont des enfants de la crise.
La crise c’est pour ceux qui avaient un peu d’oseille et qui l’ont perdue. Rien n’a jamais changé pour les gens d’en bas. On se fout d’eux. Moi, j’ai une chance extraordinaire ; j’ai réussi à passer la barrière du périphérique et à me battre cœur et âme pour pouvoir exister. Je ne voulais être tributaire de personne et d’aucun système. Mais tout le monde n’a pas eu ma chance.
Aujourd’hui on entend que le Front national est devenu le premier parti de France…
C’est faux et dégueulasse. Je le répète, c’est faux et dégueulasse. Nous, artistes, on doit gueuler que cela est faux, que l’on vit dans l’ère du métissage, qu’on n’a pas d’autre alternative que de faire avec l’autre, que l’étranger n’est pas une mauvaise nouvelle mais, au contraire, une très bonne nouvelle, qu’il faut faire corps ensemble face à l’adversité.
Il faut faire très attention aux discours qui tentent d’arrondir les angles. Marine Le Pen – je devrais dire Jean-Marine Le Pen – n’a pas changé, ses paroles sont dangereuses et font du mal à la France. Les gens qui y adhèrent sont fous. Je suis triste de devoir encore parler de cela. Je m’étais pourtant juré de ne pas le faire.
Je ne veux plus parler de ces personnes car en le faisant, je leur rends service. On nous fait peur avec ce spectre du Front national. Il est moins présent que ce qu’on nous dit. Je sais que la France n’est pas raciste ; je suis allé dans de très nombreuses villes, j’ai parlé avec beaucoup de Français. Ces gens qui essaient de nous monter les uns contre les autres le font uniquement pour exister, pour leur propre commerce, pour leur vitrine. Ne soyons pas dupes, je vous en supplie.
Propos recueillis par Sandrine Blanchard
Le Monde, 15 juin 2014