Quand Condorcet s’invite au congrès du Parti socialiste

Dès l’annonce dans la presse du vote des militants socialistes pour les différentes motions, le matin du 7 novembre, j’ai été frappé de constater avec quelle évidence la situation résultant des scores des unes et des autres illustrait le paradoxe de Condorcet. En revanche, j’ai été consterné par la médiocrité des commentaires produits par les commentateurs professionnels, notamment ceux de la plupart des journalistes.

CondorcetQuelques jours plus tard, j’ai voulu vérifier si quelqu’un avait noté combien cette situation illustrait précisément, comme un cas d’école, ce concept qu’il me semble important de connaître, si l’on veut comprendre quelque chose au fonctionnement de la démocratie, à ses fondements philosophiques. Des fondements dont on peut même dire qu’ils sont à la fois philosophiques et mathématiques, puisque l’on sait que le paradoxe de Condorcet a été actualisé et précisé récemment, notamment par le Théorème d’impossibilité d’Arrow.

J’ai trouvé ce que je cherchais, et je m’en suis réjoui. Le paradoxe de Condorcet a été évoqué, et même très bien présenté. Pas dans une tribune du Monde ou de Libé, mais juste sur un blog personnel, le blog de Dedalus, article repris aussi sur Agora Vox. Je vous invite à vous reporter à l’exposé impeccable de Laurent Mann, l’auteur de cet article.

Je voudrais seulement revenir sur un point précis de son argumentation :

Il importe peu que ceux qui placent E en tête de leurs préférences le fassent par amour ou par proximité politique, comme il importe peu que ceux qui le placent en queue des leurs le fassent par haine ou par éloignement politique. Le fait est qu’ils forment les uns comme les autres le corps électoral et que la démocratie impose qu’on respecte leurs souhaits.

On ne peut comprendre la portée de cette remarque que si l’on a d’abord pris le temps de s’intéresser au paradoxe de Condorcet, d’en comprendre la portée philosophique et politique — et c’est là où le bât blesse, car il semble qu’un tel niveau de complexité, ou tout simplement de connaissance de l’histoire des idées (alors que ce n’est pourtant pas la mer à boire) trouve difficilement sa place dans l’espace médiatique contemporain.

De quoi nous abreuvent depuis des jours les médias au sujet de ce congrès ? On nous explique sur tous les tons qu’il ne s’agirait que de chamailleries, de querelles de personnes, qu’on ferait à Ségolène Royal un procès qu’on ne ferait à personne d’autre, qu’il ne s’agirait que de basses et indignes manœuvres, que le PS est à la dérive, etc. Au contraire, les discussions pour un rapprochement entre ceux qui estiment avoir plus de choses en commun qu’ils n’en ont avec Ségolène Royal ou avec son projet confirment seulement la pertinence et l’actualité du paradoxe repéré par Condorcet.

Un peu moins de people et un peu plus de culture historique, philosophique et mathématique, est-ce vraiment trop demander ? Aux journalistes qui, le 7 au matin, commentaient de concert la victoire remarquable de Ségolène Royal (60 à la primaire, 47 à la présidentielle, 29 maintenant : belle progression !), on a envie de dire : « Encore un effort ! ». Quand aux militants socialistes, on aimerait qu’ils fassent preuve de leur coté d’un peu de culture politique, et c’est vers la conceptualisation d’Arrow qu’on serait tenté de les orienter, afin qu’ils apprécient, qu’ils considèrent la substance, le sel d’un énoncé évoquant la nécessaire indifférence aux options les moins pertinentes...