La bulle médiatico-sondagière peut-elle éclater ?
Par F. le 10 octobre 2011, 14 h - Politique - Lien permanent
Septembre 2011 : Grosse bulle
9 octobre 2011 : Petite bulle
16 octobre 2011 : Martine Aubry ?
J’espère vivement que Martine Aubry remportera cette primaire, « très ouverte » à l’issue du premier tour – et c’est heureux ! – mais je demeure cependant opposé à ce processus de désignation de la candidate ou du candidat pour la prochaine présidentielle. Arnaud Montebourg est un bon acteur et un habile stratège. C’est lui qui a promu cette innovation puis œuvré activement à sa réalisation. Innovation « démocratique » dont il semble que tout le monde se félicite désormais ? Je continue d’en douter.
En réalité, la primaire socialiste contribue à renforcer encore la présidentialisation de la Ve République. Depuis la constitutionnalisation du quinquennat, le déséquilibre des pouvoirs se rapproche d’une caricature, avec des législatives sans enjeu par l’effet de l’inversion du calendrier (d’abord la présidentielle, puis les législatives). S’il parle encore de la « VIe République », Montebourg n’évoque curieusement plus l’abandon de l’élection présidentielle au suffrage universel, qui serait pourtant un bon moyen pour revenir à un régime parlementaire démocratique, où le culte de la personnalité se dégonflerait un peu. Le débat politique retrouverait des enjeux et de l’intérêt ; les idées et les programmes seraient à nouveau discutés...
Les « bulles médiatico-sondagières » qui ont vu s’envoler les cotes de popularité successives de DSK puis de François Hollande, comme ce fut déjà le cas en 2006 avec Ségolène Royal, ne sont pas des fantasmes nés de l’amertume de mauvais perdants mais bien une réalité. Un peu d’analyse sémiologique de la presse et des médias audiovisuels suffirait pour s’en convaincre. Ce phénomène a été bien décrit par plusieurs bons auteurs, peu m’importe leurs motivations, qui peuvent être idéologiques ou partisanes.
Rémi Lefebvre a écrit un essai polémique au sujet de la primaire socialiste (primaires socialistes : La fin du parti militant). Il en résume les idées principales dans une tribune publiée par Le Monde, dont voici un extrait :
La vie politique est devenue un feuilleton médiatique, arbitré par les sondages, où priment dans le commentaire journalistique les ambitions présidentielles, les petites phrases et la déconstruction des stratégies de communication. Dans le discours médiatique, le jeu, entendu comme la dimension concurrentielle de la compétition entre personnalités, tend à prévaloir sur les enjeux, c’est-à-dire la confrontation de visions du monde, d’idées, de programmes.
Cette tendance contribue à la fermeture du champ politique sur lui-même et à la déréalisation des questions politiques aux yeux des citoyens les moins politisés. En renforçant la personnalisation et l’individualisation de l’offre électorale, les primaires ne peuvent qu’accentuer cette stratégisation du jeu politique. Elles introduisent une nouvelle séquence dans un temps présidentiel allongé et dilatent l’intrigue sondagière.
Les primaires confortent une conception de la politique entendue comme « course de chevaux » (les sociologues anglo-saxons des médias parlent de horse race journalism). La campagne est ainsi depuis des mois principalement abordée sous l’angle des « favoris », des vainqueurs potentiels, du candidat « le mieux placé ». L’attention médiatique est largement focalisée sur le scoring des candidats dans les sondages, omniprésents alors même que leurs limites méthodologiques sont flagrantes.
De son côté, Michel Wieviorka (qui conseille par ailleurs Martine Aubry) décrit bien le fonctionnement de la bulle médiatique dans un billet de son blog, sur Rue89 :
Les procédés utilisés sont faciles à décrypter, tant ils semblent se résumer à une formule qui paraphrase Marshall McLuhan : le message est le massage. Ce qui aboutit à ce que les sociologues connaissent bien : une prophétie auto-réalisatrice.
Car à répéter à l’envi que François Hollande est le futur vainqueur de la primaire socialiste, à le dire, mais aussi à le présenter comme tel de façon indirecte, les médias façonnent ce qu’ils prédisent. Ce qui devrait interpeler tous ceux qui se préoccupent du métier des journalistes et de leur rôle dans une démocratie.
Il n’y a là aucun complot, et tous les médias, tous les journalistes ne relèvent pas de ce schéma. Mais c’est bien celui qui domine dans la grande presse. À gauche, le schéma repose sur une présentation bien moins critique pour lui que s’il s’agit des autres candidats, bien moins clivante, bien plus favorable, et consiste aussi à appuyer par le montage et la présentation des informations l’idée d’une candidature supérieure aux autres.[1]
La clairvoyance des citoyens sera-t-elle suffisante pour que, in fine, Martine Aubry, à l’évidence la plus solide, la plus capable de faire le job (son CV, la constance de ses convictions parlent pour elle), remporte cette primaire? Nous le saurons dimanche prochain, après une semaine dont la perspective ne me réjouit pas vraiment. Encore une semaine de spectacle. Les enjeux sont pourtant sérieux. Vraiment sérieux.
Notes
[1] Novembre 2011 : Un mois après, il convient de rappeler comment Michel Wieviorka concluait son billet du 19 septembre, avec un certain fatalisme au sujet de la candidature de François Hollande : « Il est peu vraisemblable que la bulle qui s'est ainsi construite en sa faveur explose avant la primaire socialiste. Mais ne serait-il pas dramatique pour la gauche qu'elle éclate ensuite ? »